La vie devant soi

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Chère lectrice,

C’est une anecdote à laquelle je pense très souvent. Ça s’est passé lors des dernières élections présidentielles. Nous étions, avec mon mari, dans la file d’attente qui conduisait aux isoloirs. Juste après nous, un monsieur très âgé appuyé sur sa canne attendait son tour d’un pas qui me semblait peu assuré. À mon avis, il avait largement dépassé 90 ans. Je l’observais du coin de l’oeil ; tout semblait difficile pour lui : se tenir debout, se saisir des bulletins de vote, avancer simplement de quelques centimètres, c’était déjà toute une aventure… Avec mon mari, nous le surveillions, attendant le moment propice pour le laisser passer devant nous.

Pour tout dire, je ressentais une telle impression de fragilité en l’observant que c’en était stressant. Cette file, pourtant pas très longue, semblait interminable. Finalement, notre tour est arrivé et, comme je m’y attendais, David s’est effacé afin de lui laisser sa place dans l’isoloir.

Le visage du vieil homme s’est alors éclairé et c’est un regard bien vivant qui nous faisait face lorsqu’il a répondu à David, d’une voix étonnamment claire, pleine d’entrain et de bonne humeur, toute en contraste avec son enveloppe corporelle : « Non, non, allez-y, allez-y monsieur ! Ne vous inquiétez pas, j’ai toute la vie devant moi ! »

J’ai toute la vie devant moi.

Il avait dit cela sans la moindre malice, sans ironie. Du haut de ses quatre vingt dix ou quatre vingt quinze ans, cet homme avait encore la vie devant lui.

Ne trouvez-vous pas cela merveilleux, un tel état d’esprit ?

Si je vous parle de cela c’est par contraste avec mes propres atermoiements.

Changer de vie professionnelle autour de quarante ans et repartir à zéro comporte bien entendu son lot d’avantages (notamment le fait qu’on ne recommence pas vraiment de zéro quand on a déjà derrière soi quinze ans d’expérience, ne serait-ce qu’en termes de connaissance de soi), mais je confesse avoir du mal à ne pas regarder les jeunes gens frais sortis d’école d’art sans une pointe d’envie, comptant le nombre extravagant d’années dont ils disposent pour devenir maîtres dans leur discipline. À près de quarante cinq ans, je n’ai plus cette insouciance délicieuse de ceux qui pensent que leur jeunesse durera toujours et, si j’ai conscience d’être encore très jeune, lorsque je vois le temps qui me reste pour faire ma place dans le petit monde de l’art botanique, il m’arrive de me sentir au bord du découragement. Certains matins, comme dans une sorte de cauchemar éveillé, je me réveille remplie de cette certitude de m’y être prise trop tard et que rien de ce que je pourrai faire n’y changera quoi que ce soit. Que trop tard, c’est trop tard. Et alors je me lève, un goût de carton dans la bouche, avec l’impression d’avoir commis une folie dont je ne sais pas comment je vais me sortir.

Heureusement, je sais aussi comment fonctionnent les crises d’angoisse – les miennes en tout cas – et j’ai appris au fil du temps à les dompter à peu près, ma stratégie consistant à les ignorer autant que possible et poursuivre ma journée sans tenir compte des funestes avertissements de l’aube, m’attelant à la seule chose rationnelle, quand on poursuit un but quel qu’il soit : s’en tenir au plan (le plan étant : « je vais y arriver ») et, plutôt que de regarder d’un bloc la tâche colossale qui m’attend pour les années à venir, me concentrer sur les projet de l’année, du mois, de la semaine ou même simplement du jour. Ramené à de plus petites proportions, plus aucun projet ne paraît impossible, n’est-ce pas ? En général, c’est efficace, et, au fil de la journée, je retrouve une perception plus nuancée de mes avenirs possibles.

Et alors je reprends mon chemin, un coup de pinceau après l’autre, momentanément allégée de mon inquiétude lancinante, jusqu’à ce qu’elle réapparaisse, par exemple sous la forme d’une jeune artiste qui, à vingt cinq ans, est déjà exposée dans telle galerie prestigieuse, ou au contraire en lisant les hauts faits d’une autre peintre de mon âge ayant déjà obtenu médailles et honneurs partout de part le monde.

Il y a quelques jours, j’ai fini par m’ouvrir de ces inquiétudes à une artiste avec laquelle j’échangeais. Une artiste dont j’admire beaucoup le travail et qui fait partie de ces personnes dont le parcours prestigieux est si intimidant. Je crois que j’avais besoin que quelqu’un me le dise franchement, si je n’avais aucune chance. J’avais le sentiment de pouvoir compter sur sa franchise et je m’attendais honnêtement à ce qu’elle se montre un peu circonspecte sur mes chances d’arriver quelque part. Mais, d’une écriture qui ressemblait presque à un rire, voici ce qu’elle m’a répondu : « Quarante quatre ans, mais c’est très jeune dans le monde de l’art botanique ! Lorsque j’ai moi-même été introduite en tant que jeune artiste montante, j’avais largement passé cinquante ans ! »

Je ne saurais pas vous dire ce que j’ai ressenti en lisant ces mots. Ça a été mon ondée d’été dans un ciel trop sec. En un instant,  j’ai su que c’était vrai. Que j’avais encore du temps pour vivre une vraie jeunesse d’artiste, avec tout ce que cela comporte de tâtonnements, d’essais, d’erreurs, de fausses routes et de chemins de traverse.

Et de fait si je prends un peu de recul, si j’observe le chemin parcouru depuis le jour où j’ai posé pour la première fois un pinceau chargé d’aquarelle sur un morceau de papier qui n’était pas vraiment fait pour ça, j’ai déjà tellement avancé. Ne serait-ce que ces dernières semaines, de nombreux petits signes m’indiquent que je suis sur la bonne voie, même si, sans aucun doute, cette voie est longue et que je n’en serai qu’au début pendant un bon moment encore.

Alors, je repense au vieux monsieur, dans la file d’attente au bureau de vote. C’est lui, sans doute, qui a raison. Quel que soit notre âge, qui que l’on soit, où qu’on en soit, il existe peut-être pour chacun un petit recoin de l’univers où nous avons encore une trace de cette jeunesse qui n’en finit jamais, où nous avons, à chaque instant, la vie devant nous.

Avant de vous quitter, voici les prochains rendez-vous que je vous propose si vous avez envie de vous lancer, ou de progresser dans l’art botanique, ou simplement à l’aquarelle ou au dessin (l’art botanique étant une excellente porte d’entrée pour commencer à peindre ou à dessiner) :

Samedi 25 mars après-midi  à Vannes chez Make:
Atelier découverte en présence (il ne reste qu’une place) durant lequel nous peindrons une cerise. Merci à Aude de Make, qui m’accueille à nouveau dans sa jolie échoppe.
Cliquez ici pour les informations et réserver votre place

12-22 Avril 2023 : stage en ligne « Les bases du dessin botanique »
Retrouver une vraie ambiance d’atelier sans quitter votre salon, au travers de ce cycle de cours Zoom pour acquérir les bases du dessin au crayon (replay disponible sans limite de durée).
Cliquez ici pour les informations et réserver votre place 

17 Mai- 3 juin 12h de cours : stage en ligne « les bases de l’aquarelle botanique »
Retrouver une vraie ambiance d’atelier sans quitter votre salon au travers de ce cycle de cours Zoom pour acquérir les bases de l’aquarelle botanique (replay disponible sans limite de durée).
Cliquez ici pour les informations et réserver votre place 

Bonne fin de semaine !
Anne-Solange

PS : Si vous souhaitez vous inscrire à la fois au stage de dessin et d’aquarelle, qui sont très complémentaires, envoyez-moi un petit mot afin que je vous fasse une remise :)

14 réflexions sur “La vie devant soi”

  1. J’ai été très étonnée de votre raisonnement…
    Je reprends vos mots: « faire ma place dans le petit monde de l’art botanique »…
    C’est quoi faire sa place ? et par rapport à quoi ?… à qui ? Aux autres ?…
    C’est oublié que le bonheur c’est le chemin et non une finalité…
    Vous dites que votre stratégie consiste à ignorer vos moments d’angoisse mais c’est en les ignorant qu’ils prennent de l’ampleur…
    Mieux vaudrait les accueillir, les remercier, leur dire qu’ils ont fait leur travail et qu’ils peuvent maintenant repartir…
    Quelque soit l’âge et le projet que l’on nourrit, l’essentiel c’est « ici et maintenant » et vous êtes déjà pleinement récompensée de vos efforts par la joie de créer….point n’est besoin d’autre chose pour être heureux.
    Merci de m’avoir lue jusqu’au bout.

    1. Anne-Solange Tardy

      Bonjour Salence, merci beaucoup pour votre message.

      Je crois que cela dépend toujours du point de vue duquel on se place. Du point de vue philosophique, je suis d’accord. Le chemin, la joie d’entreprendre et de s’enrichir de tout ce que l’on découvre au fil des jours devrais suffire. Du point de vue économique et social, il y a aussi d’autres enjeux : percevoir des revenus de son travail passe par se faire connaître et cela résulte d’action concrètes telles que « faire sa place » dans un petit monde où la concurrence est rude. À mon avis, les deux visions ne s’opposent pas, elle coexistent.

      Quand à l’angoisse, je ne l’ignore pas. Mais je ne la laisse pas non plus me paralyser.

  2. Audelia Oliel

    C’est marrant parce que je dois te suivre de près (ou de loin, avec Instagram, la vie qui avance…) Depuis une dizaine d’années peut être plus et je ne suis pas du tout intéressé par l’art botanique a part que cela est jolie
    Ms ce texte m’a rappelé les postes que j’adorais lire au début
    J’en ai eu les larmes aux yeux…
    Merci pour ce que tu fais que tu puisses toujours allier l’écriture et l’art
    Et même si tu ne continue que l’art je pense que je continuerai à te suivre

  3. Marie-Claude

    Quelle est jolie et tendre ta newsletter Anne Solange !
    Le rapport a l’âge est tout relatif…..il y a toujours plus jeune et plus vieux….
    Mais il est toujours temps de se lancer, d’apprendre et d’avoir envie.
    Belle journée à toi

    1. Anne-Solange Tardy

      Merci Marie-Claude. C’est vrai, tout est relatif :) Ce qui compte c’est l’envie, l’action, la vie.

  4. Non, nous n’avons pas la vie devant nous car nous ignorons le temps qui nous est donné (ou accordé?….) Mais c’est justement pourquoi il n’y a pas de temps à perdre! Il faut y aller, et peu importe notre âge. Un pas devant l’autre, un effort après l’autre, une réussite après un échec, un échec alors que l’on pensait avoir appris et compris . C’est cela une vie. Mais comme l’enseigne le bouddhisme une journée sans avoir appris quelque chose est une journée perdue. Alors on y va! et quel bonheur de se remettre au piano après avoir arrêté pendant des dizaines d’années, d’apprendre l’aquarelle à 70 ans passés, de planter un arbre que l’on ne verra pas à sa taille adulte, mais dont on guette l’apparition des bourgeons chaque printemps. Le plus important n’est pas dans l’accomplissement (quoique …) mais dans le projet. Quand on rêve, on n’a plus d’âge.

    1. Anne-Solange Tardy

      Vous avez raison, bien sûr, c’est une manière de parler, mais justement c’était parce qu’elle était prononcée par un monsieur qui se trouve au crépuscule de sa vie que l’ai vue avec un sens nouveau.
      C’est vrai ce que vous dites. Quand on rêve, on n’a plus d’âge. Merci pour votre message

  5. Claire Pichon

    Merci pour ce texte dans lequel je me retrouve également, moi même étant reconvertie dans le journalisme « food » et souvent prise de doute devant tous ces jeunes talents, et l’âge qui ne cesse d’avancer et le temps de s’accélérer. Mais je sais aussi que ma maturité et mon expérience m’ont permis de progresser plus vite, et sans doute mieux. Si tu lis anglais, je te conseille vivement le livre de Jen Sincero : « You are a badass », qui décrypte avec humour les doutes qui nous assaillent sur notre chemin, et comment s’en défaire. La méditation m’aide aussi beaucoup. Et je suis très inspirée par certaines personnes comme Isabella Rosselini ou Mercotte qui me font voir qu’une vieillesse heureuse et pleine de succès est possible !

    1. Anne-Solange Tardy

      Merci pour ton message, Claire. C’est vrai, maturité et expérience sont aussi de vrais atouts. Je ne connais pas le livre dont tu parles mais je vais aller regarder. Merci beaucoup :)

  6. caroline franc

    ça me parle tellement, moi même j’ai commencé ma nouvelle vie pro exactement au même âge et à 51 ans je me considère encore comme une « jeune scénariste », alors que bon… Bref, vive les late bloomers et vive les vieux monsieurs avec la vie devant eux…

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