Chère lectrice,
Ce qu’on ne dit pas assez de la création, à mon avis, c’est à quel point c’est PALPITANT.
Chaque peinture est une aventure à part entière, avec ses plaines ensoleillés où il fait bon flâner en toute insouciance, ses croisées des chemins qui nous somment de choisir entre deux voies possibles, ses éboulis non répertoriés sur les cartes, ses sentiers sombres et escarpés qu’on ne sait pas vraiment comment traverser… Chaque jour passé à peindre comporte, dans des proportions variables, un peu de tout cela.
Il y a quelques années, lorsque je me suis mise à l’aquarelle et que chaque coup de pinceau, chaque mélange de couleur était en soi un petit challenge, je rêvais d’une pratique plus paisible et plus relaxante de la peinture, attendant le moment où je pourrais enfin démarrer un projet en sachant exactement ce que j’allais produire avant même d’avoir commencé, m’imaginant maîtriser mon travail du début à la fin. À un certain degré, c’était même ma définition de ce qu’est la “compétence” dans ce domaine. Il ne faisait pas de doute pour moi qu’avec du travail et de la persévérance, j’accèderais enfin à ce tranquille eldorado où peindre ne serait qu’une promenade tranquille au bord d’un lac. Et je rongeais mon frein en attendant ce jour béni.
Ce jour, vous le savez déjà, n’est jamais venu.
Et sans doute savez-vous aussi qu’il est inutile de l’attendre.
Heureusement, mon point de vue sur la question a aussi beaucoup évolué entre temps. Aujourd’hui, je crois au contraire que l’essentiel de la richesse, de la saveur qu’il y a à créer quelque chose résident dans cet espace de tous les possibles où l’on ne peut jamais vraiment savoir ce qui nous attend au tournant.
Bien sûr, à mesure que nos compétences se développent, nous étendons le territoire de nos divagations et bien sûr, c’est une expérience merveilleuse. Sans compter le plaisir de se voir progresser. Mais ce n’est pas à cet endroit que palpite notre énergie créatrice.
Cette énergie, je le vois bien, réside dans la tension qui naît de cette tentative de faire quelque chose avec ce que vous êtes aujourd’hui : quels sont les outils avec lesquels vous êtes à l’aise en ce moment, dans quelle humeur vous sentez-vous, à quoi vous attendez-vous, comment votre esprit se sent prêt – ou non – à accueillir de nouvelles approches, à quel point vous vous sentez aventureux ou aventureuse… c’est de ce maelström que naissent nos véritables créations.
Créer, c’est faire l’expérience de la nouveauté, de l’inattendu, de l’imprévisible. Avec tout ce que cela peut produire en nous d’émotions contrastées.
Alors oui, c’est vrai, la peinture peut parfois être un moment de détente agréable, conforme à ce que nous promettent ces milliers de comptes Instagram qui capitalisent sur l’idée que créer devrait être synonyme de relaxation et de calme intérieur. Mais attendre uniquement cela de votre pratique créative me semble désespérément réducteur (et sans doute décevant car, qu’on le veuille ou non, ce n’est de toute façon pas ce qu’on obtient).
Un peu comme si, en entrant chez un de ces marchands de glaces qui proposent toute sorte de combinaisons gustatives inédites et passionnantes, nous choisissions systématiquement d’ignorer la palette incroyable d’expériences possibles pour finir à chaque fois par commander cette bonne vieille saveur vanille-fraise que finalement, nous connaissons par cœur.
Je vous souhaite une bonne fin de semaine !
Anne-Solange
1 réflexion sur “Une aventure”
C’est tellement vrai et ça marche pour la création comme pour la vie. Merci de nous exprimer avec talent tous ces sentiments posés sur papier.